Depuis 2010 on constate une forte augmentation des surfaces de production de légumineuses en France (2% de la Surface Agricole Utile française en 2019 selon France AgriMer), en parallèle d'une stagnation voire d'une baisse des rendements. Pourtant, l’intérêt agronomique et économique de ces cultures incite de plus en plus les agriculteurs à les intégrer dans leurs rotations. De plus, elles constituent une voie privilégiée pour sortir de la dépendance aux protéines animales. C'est l'objet du Plan Protéines mis en place par le gouvernement dans le cadre du plan de relance.
En France la lentille et la féverole sont deux cultures légumineuses de premier plan : la bruche en est la principale menace. En cas d'infestation, une intervention au stockage est indispensable pour satisfaire les conditions de commercialisation. En alimentation humaine la norme de sécurité sanitaire fixe la limite de grains bruchés à 3%. Dans cet article nous allons voir ce qu'il faut mettre en place pour minimiser ce risque et protéger votre récolte.
La bruche, c'est quoi ?
La bruche est un coléoptère qui pond à l’intérieur des gousses. Ses larves se développent tout au long de la culture. Un grande partie des bruches sortent des grains peu après la récolte, lorsqu'elle atteignent leur stade adulte pour rejoindre des lieux de reproduction alentours. Elle peuvent alors hiverner et infester les cultures l'année suivante.
Il est important de noter que la bruche ne se reproduit qu’une seule fois par an, elle ne sort des grains qu’une fois son développement larvaire terminé et n’attaque pas les grains durant le stockage. La lutte contre la bruche diffère donc des autres insectes ravageurs (des céréales notamment).
Au niveau du champ, seul une pulvérisation d’insecticide à base de lambda-cyhalothrine est autorisée au moment de la floraison, correspondant à la période d’infestation des cultures. Cependant cette substance active a un effet négatif sur les insectes pollinisateurs et doit être appliquée en leur absence, réduisant d’autant plus la fenêtre d’action.
Méthodes de lutte au stockage
La lutte contre la bruche s'effectue principalement au stockage, en deux étapes :
- Récolter tôt (15 à 20% d'humidité) pour pièger les bruches dans les grains, puis sécher/ventiler à l'air chaud pour descendre à 14%.
- Eliminer les bruches au stockage dans la foulée, avant qu’elles ne sortent en dégradant la qualité visuelle des graines et infestant les alentours.
Par la suite nous allons aborder 6 méthodes d'élimination.
> La fumigation à la phosphine (conventionnel)
La fumigation à la phosphine est efficace à 100% pour tuer les bruches adultes et les larves : on introduit de la phosphine (PH3) dans une enceinte étanche pendant au moins 10 jours. Cette méthode ne laisse aucun résidu sur les grains. Néanmoins, elle demande une installation spécifique entièrement hermétique et des opérateurs certifiés (la phosphine est une substance dangereuse pour l’homme). Après traitement, les larves mortes restent à l’intérieur des grains. Cela réduit le taux de grains troués, mais pas celui de grains bruchés.
> L'insecticide : K-Obiol© ULV 6 (conventionnel)
L’insecticide, le K-Obiol© ULV 6 (deltaméthrine et butoxyde de pipéronyle) est un insecticide de contact et d'ingestion appliqué en nébulisation. C'est le seul insecticide autorisé sur les protéagineux au stockage. Son efficacité sur la bruche est proche de 100% et sa persistance d'action d'au moins 6 mois. Il faut laisser les grains se réchauffer pour effectuer le traitement en même temps que l’émergence des bruches. Cette solution curative laisse cependant des résidus détectables sur la graine, mais qui respectent la réglementation européenne.
> Le séchoir : chauffage à air chaud 50°C (bio)
Le chauffage à air chaud ramène rapidement l’humidité des grains à 14 % en plus de tuer les bruches (y compris les larves à l’intérieur des grains par choc thermique). Attention, un séchage trop chaud ou trop rapide peut endommager les graines : il faut rester entre 50°C et 70°C.
> La congélation (bio)
Les grains sont refroidis à une température de -20°C pendant 4 à 5 semaines, ce qui est mortel pour les bruches. Cette solution nécessite d'être équipé d'un congélateur et n'est pas adaptée pour traiter des volumes importants. En France cette solution est généralement proposée par des prestataires.
> Le stockage sous atmosphère modifiée (bio)
Après la récolte, les graines sont placés en environnement totalement hermétique avec injection de dioxyde de carbone. La création d'une atmosphère modifiée à forte teneur en dioxyde de carbone aboutit à la mortalité totale des insectes. Les bruches adultes sont éliminées au bout de 48h. Il faut attendre jusqu'à 21 jours pour constater la mortalité totale des formes cachées et des formes plus précoces (oeufs/nymphes/larves, possiblement nichées à l'intérieur des grains). Cette méthode ne laisse aucun résidu et peut être déployée en silos ou big bags hermétiques.
L’intervention au stockage pour respecter les critères de commercialisation (absence d’insectes vivants) ne réduit certes pas le taux de grains bruchés, mais reste nécéssaire pour limiter l’infestation des zones de production. Une opération de tri et de nettoyage des graines est souhaitable avant commercialisation, de façon à éliminer les débris d’insectes morts.
D'autres techniques de lutte au stockage existent :
- toastage (pour l'alimentation animale uniquement, cuisson du grain à 280°C).
- terre de diatomée (provoque des microcoupures mortelles chez l’insecte mais cette solution n'est pas adaptée pour des gros volumes).
- rayonnement micro-onde (coûteux et peu d'installations opérationnelles).
Une technique prometteuse : l'association de culture en champ plein
Les associations de cultures se basent sur plusieurs principes de luttes alternatives : la perturbation olfactive, la favorisation des auxiliaires et le leurre. Ces techniques sont encore peu utilisées et encore en documentation en France.
Pour la féverole, l'association binaire avec des céréales permet d'attirer des auxiliaires (résultats constatés en utilisant de l’avoine ou de l’orge). D'autre part l’association féverole/pois fourrager pourrait permettre de perturber la reconnaissance olfactive des bruches, celles-ci s'attaquant aux pois (effet de leurre).
Pour la lentille, certaines observations au champ faites par des producteurs semblent indiquer que le sarrasin et le seigle, en association avec la lentille, joueraient un rôle pour diminuer la pression des bruches. Enfin, la culture du lentillon de champagne (ayant une floraison 2 à 3 semaines plus précoce que les lentilles traditionnelles) permettrait de décaler le stade de sensibilité de la culture par rapport au cycle de développement des bruches.
L'essentiel à retenir
Les légumineuses ont de beaux jours devant elles. Cependant la bruche est une menace majeure, dont la progression s'explique par le réchauffement climatique, l’augmentation des surfaces des cultures légumineuses en France et le développement de résistances à certains insecticides.
Dans la lutte contre la bruche il faut prendre en compte :
- le retrait de certaines matières actives ;
- l’évolution de nombre d’interventions autorisés pour lutter contre la bruche ;
- la règlementation des conditions d’interventions pour effectuer le traitement ;
- la longue période de sensibilité par la culture (période de floraison et de formation des gousses).
En cas d'infestation, l'intervention au stockage pour éliminer les bruches est indispensable. Il faut récolter tôt pour garder les bruches piégées à l'intérieur des graines, puis les éliminer en conventionnel (fumigation à la phosphine, K-Obiol© ULV 6) ou en biologiques (chauffage, congélation, atmosphère modifiée).
Enfin, l'association de culture est une perspective prometteuse pour réduire la pression de la bruche au niveau du champ. Cette technique commence à être documentée en France mais reste encore peu répandue.
Pour aller plus loin
Replay du webinaire Proléobio 22/03/2021 : faisabilité technico-économique des lentilles.
Article rédigé par AgroParisTech Service Etudes.